Au Sahel:La détérioration humanitaire la plus rapide de la planète
Action contre la faim (ACF) et le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) s’alarment, vendredi 31 janvier, de la dégradation spectaculaire de la situation humanitaire dans le Sahel.
Les deux ONG, dans une conférence de presse conjointe organisées à Paris, ont fait aussi état des obstacles politiques et sécuritaires qui paralysent leurs actions.
« C’est la crise humanitaire qui grossit le plus vite au monde », s’alarme Jan Egeland, le secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), ce vendredi 31 janvier dernier à Paris, au cours d’une conférence de presse consacrée au Sahel.
La dégradation sécuritaire entraîne des mouvements de population, de plus en plus massifs, qui précipitent la crise humanitaire. De retour du Burkina Faso, le secrétaire général de NRC a vu combien ce pays est désormais dans la tourmente humanitaire. « Il y a un an, il comptait 60 000 déplacés. Aujourd’hui, ils sont au moins 600 000. Et d’ici à la fin du printemps, ils seront un million au Burkina », s’est-il inquiété.
Pour la seule ville de Barsalogho, où il s’est rendu, dans le centre-nord du pays, il y a 70 000 déplacés. Et dans la région, il y en aurait 200 000. « Parmi eux, surtout des femmes, des enfants et des vieillards », dans une zone où les attaques sont quasi quotidiennes.
Groupes djihadistes, conflits intercommunautaires, rivalités pour l’accès aux ressources, les raisons et les visages de la violence au Sahel sont multiples. Pour les déplacés et les habitants de ces territoires sinistrés, l’accès à l’eau, aux centres de santés, à l’école, sont désormais catastrophiques.
Faut-il négocier avec les groupes armés ?
Dans ces conditions, avancent les deux ONG, il est urgent de repenser la coopération internationale et d’engager des programmes pérennes de développement, d’éducation, de lutte contre la malnutrition. « La réponse internationale à la crise du Sahel est surtout sécuritaire, constate Jan Egeland. Or, c’est n’est pas suffisant. Il faut redonner de l’espoir aux jeunes, il faut répondre à leur colère de n’avoir aucune perspective dans la région. »
L’une des pistes avancée par Jan Egeland est de négocier avec les groupes armés, afin de faire baisser les tensions et de pouvoir acheminer l’aide humanitaire. Mais, poursuit-il, les pays bailleurs des grandes ONG et les institutions internationales privilégient la lutte antiterroriste et donc, sont plutôt hostiles à cette démarche. Hostilités manifestées aussi par les groupes armés qui ciblent de plus en plus les ONG comme Action contre la faim (ACF) au Nigeria.
La réponse sécuritaire fait écran à la réponse humanitaire
« La question sécuritaire masque la question humanitaire. Par exemple, la France dépense 600 millions d’euros pour Barkhane, et l’aide française pour le développement (AFD), 400 millions euros. Ce qui représente 3,3 % du budget de l’AFD. Pour la seule question de l’aide alimentaire, c’est 0,45 % de son budget soit environ 54 millions d’euros », déplore Jean-François Riffaud, le directeur général d’ACF.
« Dans les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), près de 4,2 millions de personnes étaient en situation de crise alimentaire d’octobre à décembre 2019. Ce chiffre pourrait atteindre 6,6 millions de personnes lors la prochaine période de soudure (1), de juin à août 2020, ce qui représenterait une hausse de 57 % en seulement 6 mois ! » Explique-t-il. Avant d’ajouter : « L’approche sécuritaire est délétère. Elle a pour effet d’accroître l’insécurité alimentaire. »
Les biens et les personnes sont entravés dans leurs déplacements, l’accès aux ressources est encore plus difficile, voire impossible, alors que la concentration de populations augmente en raison des déplacements : « Il y a plus de bouches à nourrir », et moins de moyens de le faire.
Le droit international humanitaire en régression
Comme Jan Egeland, Jean-François Riffaud note que les règles contre-terroristes sont des obstacles à leurs actions sur le terrain. « Les bailleurs nous posent des conditions dans la sélection de nos partenaires, de nos collaborateurs, on nous demande la liste des bénéficiaires. »
Les lois nationales et supranationales antiterroristes « ne sont pas compatibles avec nos actions. Par exemple, nous ne pouvons pas discuter avec les groupes pour négocier les accès aux zones qui ont besoin de nous ». Comment faire avec les pays sous embargo pour débloquer les fonds à destination des zones affectées par la crise humanitaire ?
De ce fait, le droit international humanitaire est en nette régression. Jean-François Riffaud conclut : « L’environnement juridique est de plus en plus contraignant pour nous. »
Laurent Larcher
Source : la-croix.com
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