Mali : les coulisses du départ de Soumeylou Boubèye Maïga
Crise sécuritaire, fronde sociale, grève des enseignants : depuis des mois, la colère montait pour se focaliser sur l’ancien Premier ministre. La question est désormais de savoir qui le remplacera.
C’est jeudi 18 avril en soirée que le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a annoncé sa démission, évitant l’humiliation promise ce jour par une motion de censure signée par plus d’une centaine de députés, de la majorité présidentielle comme de l’opposition, qui lui aurait fait inéluctablement quitter le pouvoir. Ironie du sort, sa démission intervient quasiment un an, jour pour jour, après sa déclaration de politique générale, le 20 avril 2018, devant les élus de la nation dans la salle Modibo Keita de l’Assemblée nationale. Dans l’exposé de la politique qu’il entendait déployer, le Premier ministre s’était engagé sur quatre points majeurs : la poursuite et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, enrayer l’insécurité grandissante dans le centre du pays, satisfaire la demande sociale et organiser des élections transparentes, crédibles et apaisées.
Jusqu’à la dernière minute
À cette époque, il y avait un certain engouement pour ce Premier ministre d’expérience, un brin arrogant, qui incarnait encore une sorte de dynamisme gouvernemental, une façon plus volontaire et médiatique de faire de la politique. « Il a été un Premier ministre de terrain, sans nul doute, mais par contre nous n’avons pas vu de résultat. Le secteur de l’éducation avec les grèves aujourd’hui est complètement bloqué et nous sommes arrivés à un degré d’insécurité que le Mali n’a jamais connu. Les tueries qui ont eu lieu, quand il n’était pas au pouvoir, n’existaient pas. De plus, nous avons appris qu’une de ces milices a été armée par le gouvernement de Soumeylou Boubèye Maïga. Donc, en termes de résultat, le peuple est révolté », résume de façon lapidaire Soumana Kalapo, ancien syndicaliste à la CSTM (Confédération syndicale des travailleurs du Mali).
Pressions sociales
Les grèves qui rongent le pays, la situation sécuritaire qui s’est considérablement dégradée, notamment dans la région centre où le massacre de 160 personnes, femmes, hommes et enfants dans le village d’Ogossagou, le 23 mars dernier, a entériné chez les élus de la nation comme dans l’opinion nationale son incapacité à gérer les crises actuelles que traverse le pays, des échecs patents, aux yeux de tous, dont il est le principal responsable. « Il y a plusieurs points aujourd’hui de divergence absolue », reconnaît Zoumana N’Tji Doumbia, député étiqueté RPM (Rassemblement pour le Mali), président de la commission des Lois du Parlement. « La question du centre où il n’est pas arrivé à trouver une solution, le problème de l’éducation où on se dirige vers une année blanche et la crise financière et sociale dans le pays, cela explique pourquoi les gens réclamaient son départ. »
Des arguments battus en brèche par Oumar Alassane Touré, président de la Coordination nationale du réseau des jeunes patriotes du Nord, et soutien de la première heure du Premier ministre sortant. « La grève des enseignants est un problème qui perdure depuis cinq ans et les choses se sont accumulées. Le Premier ministre à son arrivée a cassé des habitudes, le népotisme qui avait cours ou les enveloppes que l’on donnait aux secrétaires généraux des syndicats pour faire passer les revendications. L’arrêt de ces pratiques par le Tigre en a frustré plus d’un, croyez-moi ! » Révèle le farouche partisan de Soumaila Boubèye Maïga. « Les difficultés à juguler la crise au Centre sont aussi dues, en partie, à un défaut de renseignement. Les services de renseignements sont dirigés par une personne avec qui le Premier ministre ne s’entendait pas du tout. Depuis le coup d’État du capitaine Sanogo, le renseignement est dirigé par des militaires. Ils n’ont pas d’antenne chez les locaux, dans les villages, les hameaux, leur antenne s’arrête au niveau de la région et du gouvernorat. Ce sont des facteurs qui n’ont pas permis de gérer efficacement la crise sécuritaire au Centre », défend Oumar Alassane Touré, qui concède, néanmoins, que toutes ces difficultés ont déçu et ont permis une connexion entre les différents mouvements politiques ainsi qu’avec les religieux, qui s’est changée par la suite en une opposition farouche.
Lutte de pouvoirs
Au-delà du désaveu populaire, c’est dans la sphère politique que les coups se font les plus durs, un contentieux qui remonterait aux élections présidentielles et qui s’est envenimé depuis : « Soumeylou Boubèye Maïga a été appelé au pouvoir pour une mission, celle d’assurer la réélection du président de la République et garantir le bon déroulement des élections présidentielles. Il y a une grande partie de la classe politique, mais aussi de la société civile et des leaders religieux, qui a contesté l’élection et qui y voit une grande supercherie. Ils pensent que leur victoire les a été volée, qu’ils pouvaient gagner les élections et que ça ne s’est pas concrétisé », analyse Khalid Dembélé, chercheur au Centre de recherche d’analyses politiques, économiques et sociales (Crapes).
Autre grief d’importance reproché au Premier ministre par la majorité présidentielle : la transhumance politique de cadres de la majorité, et notamment du RPM vers le parti de l’ex-Premier ministre, l’ASMA CFP (l’Alliance pour la solidarité, Convergence des forces patriotiques) qui est devenu en l’espace de seize mois une force politique. « Le parti du président s’est senti affaibli, de plus, Soumeylou Boubèye Maïga semblait avoir un agenda personnel, il était soupçonné de vouloir préparer sa candidature pour les élections présidentielles de 2023. Donc, pour l’affaiblir, on a organisé la manifestation du 5 avril en collaboration avec les religieux, puis une motion de censure, pour qu’il quitte le gouvernement, qu’il n’ait plus les moyens de l’État pour pouvoir influencer autant sur la scène politique », ajoute Khalid Dembélé.
Pour Soumana Kalapo, cette lutte politique contre le Premier ministre a eu la chance de coïncider avec l’expression d’une insatisfaction populaire totale dans le pays. « Le parti présidentiel est entré en conflit avec le Premier ministre à un moment où les résultats ne jouaient pas en sa faveur et à un moment où les relations entre le président et son parti étaient loin d’être au beau fixe. La majorité présidentielle, l’opposition, les religieux ont su sentir le ras-le-bol des Maliens, ils ont très bien saisi ce que la population pensait de ce pouvoir. « Cela a permis de faire partir le Premier ministre, mais cela a aussi révélé les conflits internes qui existent au sein de cette majorité, car cette motion de censure vient des députés de la majorité présidentielle, des forces mêmes constitutives de la coalition de la majorité qui ne s’entendaient plus », complète le chercheur Khalid Dembélé.
Partir pour mieux revenir ?
« Un Premier ministre sera nommé très prochainement et un nouveau gouvernement sera mis en place, après consultation de toutes les forces politiques de la majorité et de l’opposition », annonce le communiqué de la présidence de la République. Pour l’heure, les Maliens s’interrogent sur la personnalité qui sera suffisamment consensuelle et compétente pour reprendre la tête de l’exécutif avant la nomination de Boubou Cissé, ministre sortant de l’économie et des finances. « Aujourd’hui, on tend vers un dialogue national, Soumeylou Boubèye Maïga ne pouvait pas faire consensus, il n’était plus rassembleur, on va vers une révision constitutionnelle, cela aurait été compliqué. Il faudra donc trouver quelqu’un qui pourra favoriser le dialogue entre les différentes parties de la société », considère Khalid Dembélé. « Il faut maintenant que le gouvernement fasse un remaniement en profondeur du gouvernement pour pouvoir appliquer le programme présidentiel Notre Mali avance, de même pour l’accord de paix », souhaite le président RPM de la commission des Lois du Parlement.
En tout cas, les consultations ont commencé, l’ancien président ATT a même été consulté pour faire des propositions afin de trouver cet homme providentiel qui, à la tête d’un gouvernement que les Maliens espèrent déterminer et combatif, pourra faire face aux nombreux défis que traverse le pays.
Soumeylou Boubèye Maïga, désavoué, a été contraint de passer la main, mais ne quitte pas pour autant l’arène politique. Pour certains de ses soutiens, cette démission est juste le signe d’une retraite momentanée. « Il faut savoir partir pour mieux revenir, pour être rappelé. Le Tigre n’a pas dit son dernier mot », pensent-ils, les yeux rivés sur les prochaines échéances présidentielles.
Quelle que soit la personne qui sera désignée à l’issue des consultations, elle sera attendue au tournant et devra, autant que faire se peut, obtenir les résultats qui ont jusque-là manqué, dans un pays en crise qui, depuis 2013, a vu défiler nombre de Premiers ministres, mais aucune solution efficace pour sortir le pays de l’ornière.
Par Olivier Dubois, à Bamako
Source : www.lepoint.fr/afrique
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