Décès de l’ancien Président, Amadou Toumani Touré: Fin de parcours d’un homme singulier et pragmatique
La nouvelle tombe comme un couperet, ce mardi 10 novembre dans la matinée. L’ancien Président de la République, Général Amadou Toumani Touré, est décédé en Istanbul en Turquie où il s’est rendu dans le cadre d’un séjour médical.
L’annonce de sa mort rappelle ses dernières apparitions publiques : les obsèques de son prédécesseur ancien Président du Mali, le Général Moussa Traoré et l’interview accordée à notre confrère Salif Sanogo, directeur général de l’ORTM dans le cadre des festivités des 60 ans de l’indépendance du Mali.
Dans cet entretien, il avait donné son point de vue sur la dernière évolution sociopolitique de son pays qu’il a dirigé deux fois (mars 1991-juin 1992, juin 2002- mars 2012). Deux mois avant la fin de second et dernier mandat, il a été renversé, le 22 mars 2012 par un putsch malheureux dont le Mali continue encore de gérer ses conséquences en 2020.
Militaire dans son âme, qui on l’appelait le militaire démocrate pour avoir troqué sa tenue contre le pouvoir civil. On dénombre beaucoup de ses chantiers parmi lesquels pour ne citer l’AMO (Assurance maladie obligatoire).
Réduit par la vieillesse à 72 ans, l’ancien Président Amadou Toumani Touré avait été opéré d’urgence du cœur à Bamako dans son hôpital Luxembourg Mère et Enfants avant son départ de Bamako, a précisé le correspondant de RFI à Bamako.
Plusieurs personnalités africaines et dans le monde ont réagi à son décès, une figure emblématique du Mali et de toute l’Afrique, il a marqué l’histoire politique et militaire dans son pays. Parmi lesquelles, le chef de l’Etat sénégalais Macky Sall qui fut son hôte suite au putsch militaire qui lui contraignait de quitter le pouvoir en 2012 pour résider au Sénégal avant de retourner dans son pays grâce à Ibrahim Boubacar Keita, ancien président renversé le 18 août dernier par le coup de force militaire de kati.
Il avait quitté Bamako avec le souci de santé samedi dernier pour Istanbul où il devrait se reposer et faire des examens supplémentaires médicaux. Ce jour, il marche et monte de lui-même au bord de l’avion en compagnie de son épouse. C’est là bas où il rejoint ses aïeux. Selon des sources proches, le corps du président ATT arrivera à Bamako courant du week-end par un vol spécial affrété par les autorités de la république (Avion présidentiel du Mali) et les obsèques officielles sont prévues pour mardi 17 novembre 2020.
Il laisse désormais le Mali orphelin dans un contexte politique marqué par la transition qui devrait déboucher sur l’élection d’un nouveau président démocratiquement élu après dix huit mois.
Le parcours de l’homme
Le Général d’Armée à la retraite, Amadou Toumani Touré, ancien Président de la République du Mali, est né le 04 Novembre 1948 à Mopti. Il fréquente les écoles primaires et fondamentales de Mopti, Tombouctou et Sofara et poursuit ses études à l’Ecole Normale Secondaire de Badalabougou à Bamako, de 1966 à 1969. Attiré par le métier des armes, sa formation professionnelle est quasi permanente : 1969 – 1972, il fut élève officier à l’Ecole militaire interarmes (EMIA) de Kati. De 1974 à 1975, il fit l’Ecole Supérieure des Troupes aéroportées à Riazan en URSS puis le Centre National d’Entraînement Commando (CNEC) à Montouis en France en 1978. Ecole Supérieure de Guerre Inter- armes (17ème Promotion) à Paris en France de 1989 à 1990. Il sort en 1990 des Cours Supérieur Inter – armes (42ème Promotion) à Paris en France.
Devenant sous – Lieutenant le 1er Octobre 1972, Amadou Toumani Touré, est successivement promu Lieutenant le 1er Octobre 1974, Capitaine le 1er Octobre 1978, Chef de bataillon le 1er Janvier 1984, Lieutenant – Colonel le 1er octobre 1988, Général de Brigade le 08 Juin 1992, Général d’Armée le 1er Octobre 1996.
Il est nommé Commandant de la Garde Présidentielle, du 28 avril 1981 au 30 mars 1984, le commandement du Bataillon des Paras Commandos lui est confié par deux fois, en Janvier 1984, puis le 14 Mars 1991. Le 26 mars 1991, Amadou Toumani Touré est Maître d’œuvre de l’opération militaire qui met fin à près de 23 années de pouvoir du Régime de Moussa Traoré. Il est désigné, ce jour même, Président du Comité de Réconciliation Nationale (CRN), composé d’officiers, et porté le 29 mars 1991 à la Présidence du Comité de Transition Pour le Salut du Peuple (CTSP) qui est une fusion du CRN et de la Coordination des Associations du Mouvement Démocratique.
Il conduit ainsi avec bonheur la Transition qui durera 14 mois. Cette période de troubles et d’incertitudes mêlées pourtant d’espoirs, enregistre des résultats probants pour l’avenir de la jeune démocratie malienne, à savoir : la tenue de la Conférence Nationale, dont il est élu Président (cas unique en Afrique). Il dirige de main de maître ce forum démocratique, dans le temps record de 15 jours (du 29 juillet au 12 août 1991), qui produira des textes d’une importance capitale, tels : le projet de constitution, le Code électoral, la Charte des Partis, l’Etat de la Nation. Sa participation effective à la VIème Conférence (Palais de Chaillot en France) au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (du 19 au 21 Novembre 1991). Grâce à sa clairvoyance et à ses talents d’organisateurs méthodique et rigoureux, le calendrier des échéances électorales pour la mise en place des institutions de la IIIème République, a été respecté, dans le calme et la sérénité: le 12 janvier 1992 date à la quelle s’est tenu le Référendum Constitutionnel ; le 19 janvier 1992, Elections municipales ; le 23 Février 1992 et le 08 mars 1992, premier et second tours des élections législatives ; les 12 et 26 avril 1992, premier et second tour de l’élection présidentielle. Ses qualités de négociateur lui ont permis d’obtenir de ses pairs, au Sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) à Dakar, du 09 au 12 Décembre 1992, l’adoption de la Résolution sur « la Solidarité islamique en faveur du Mali pour le retour de la paix et le développement de ses régions du Nord ».
Au compte des initiatives personnelles de Amadou Toumani Touré, on retient entre autres : la consolidation de l’indépendance de la Magistrature, par l’adoption d’un statut de la Magistrature, garantissant l’inamovibilité des magistrats du siège , la suppression des juridictions d’exception, telle la Cour Spéciale de Sûreté d’Etat, qui constituait une véritable entorse aux droits sacrés de la défense ;
les mesures de grâce présidentielle ont été accordées à environ 150 personnes (surtout des femmes et des enfants dont les conditions de détention interpellaient toute conscience humaine), l’appui à l’éclosion de la Pesse libre et privée, la mise en place de près de 10 radions libres et privées nationales, de deux stations étrangères : RFI et Africa n°1, et l’autorisation de télévisions privées, l’adhésion du Mali à Air Afrique comme exemple d’intégration économique sous- régionale, l’organisation, pour la première fois au Mali, des Etats généraux du commerce, de l’industrie et de l’artisanat, et celle des Etats généraux du monde rural, la signature du Pacte National : depuis juin 1990, le Groupe ethnique touareg entre en rébellion contre les autorités nationales. La signature du Pacte National, consacrant le règlement du conflit du Nord du Mali, le 11 avril 1992 à Bamako, après les concertations de Ségou et Mopti au Mali, du 25 au 28 novembre et du 15 au 19 décembre 1991, puis celles d’Alger I, II, III courant mars – avril 1992, est considérée non seulement comme une victoire du peuple malien, mais surtout comme un triomphe personnel de Amadou Toumani Touré, de sa politique d’ouverture et de dialogue. Sous son autorité, le Pacte Social pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, est signé à Bamako, le 07 mai 1992, entre l’Etat malien et l’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM)
Artisan de plusieurs actions humanitaires et de médiations
Convaincu qu’il peut être utile, même sans être Président, le Général Amadou Toumani Touré se consacre donc à la réalisation d’actions sociales en faveur des plus démunis entre autres. En septembre 1992, il accepte, sur la demande du président Jimmy Carter de l’époque, le parrainage du Programme d’Eradication de la Dracunculose au Mali, qui devient protocole d’accord relatif à l’éradication du ver de Guinée et à la lutte contre la cécité entre le Gouvernement de la République du Mali et Global 2000 INC.
En Août 1993, il crée la Fondation pour l’Enfance, pour s’acquitter d’une « dette » envers les enfants, ses amis et compagnons de toujours. Le 14 Mai 1994 à Dakar (Sénégal), ATT fut élu Président du Réseau inter – africain en faveur des « Enfants de la Rue », en Novembre 1995, le sommet des Chefs d’Etat de la Région des grands lacs, réuni au Caire (Egypte), l’a choisi comme facilitateur dans le règlement du conflit dans cette zone. En 1996, il dirige la mission d’observation de l’OUA lors des élections algériennes, le 12 juillet 1996 à Lomé, Togo, Lauréat du « Diplôme de Promoteur de la Culture démocratique en Afrique » remis par l’Observatoire Panafricain de la Démocratie (OPAD).
En juillet 1996, l’OMS le désigne membre du Comité international pour une Afrique libérée de la poliomyélite. Il est nommé Président du Comité de pilotage des Journées Nationales de Vaccination (JNV) contre la poliomyélite, par décret n° 305/PRM du 22 Octobre 1997 ; 1998 : Promoteur de l’Hôpital Mère – Enfant « Le Luxembourg » puis la même année 1998, il est nommé Président du Comité de lutte contre le Trachome, par décision n° 595/MSPA- SG du 15 Octobre 1998. En 1999, il devient membre du PANEL (Groupe International d’Eminentes personnalités pour enquêter sur le génocide de 1994 au Rwanda et ses conséquences).
En 2000, Amadou Toumani Touré est mandaté par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en qualité d’Envoyé Spécial du Secrétaire Général de l’OIF, Monsieur Boutros Boutros Ghali, auprès des Chefs d’Etat membres de l’OIF, n’ayant pas encore adhéré à la Convention d’Ottawa (signée et/ ou ratifiée). En 2001, il est désigné membre du Conseil d’administration d’OSIWA et mandaté cette même année en République Centrafricaine en tant qu’Envoyé Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, Monsieur Koffi Annan, pour la République Centrafricaine, à la date du 05 juin 2001. Candidat indépendant, Amadou Toumani Touré est élu Président de la République le 24 mai 2002.
L’homme avait à son actif des décorations et distinctions honorifiques
Au titre de ses nombreuses décorations et distinctions au Mali, on peut citer entre autres : Chevalier de l’Ordre National du Mali (1981),
Médaille d’Or de l’Indépendance du Mali (1992) ; Grand – Croix de l’Ordre National du Mali ; Prix Chaba SANGARE (2001) pour ses Actions Humanitaires en Commune IV du District de Bamako ; Prix du Rotary International ‘Paul Harris Fellow’, Bamako, Mali ; Prix du Ciwara d’Exception, Bamako, Mali (1997)
A l’Etranger, il est détenteur de Médaille de Sauvetage (USA)- Campagne contre la famine 1973 au Mali ; Lauréat du Diplôme de Promoteur de la Culture de la Démocratie en Afrique, remis par l’Observatoire Panafricain de la Démocratie (OPAD) – 12 juillet 1996 à Lomé (Togo) ; Prix international « le Juste d’Or » décerné par l’Association SOS Injustice Internationale (1994) ; Commandeur de la Légion d’Honneur en France (1994) ; Lauréat du 10ème Prix Leadership Afrique pour l’élimination permanente de la Faim (1996) ; Grand Officier de l’Ordre du Mérite Centrafricain (1996) ; Médaille Commémorative de la Campagne de la MISAB, Bangui (RCA), 1997 ;
Grand Officier du Mérite du Tchad (1997); Grand Officier de la Légion d’honneur toujours en France (1998), Docteur Honoris Causa de l’Université Internationale Euro-américaine de Panama (2005),
Grande Médaille de l’Ordre Mondial des Juristes (2005),
Membre associé de l’Académie des Sciences d’Outre-mer de Paris (2007) et Docteur Honoris Causa de l’Université de Lyon III (2007). Il fut récipiendaire d’une autre distinction honorifique telle que Docteur Honoris Causa de L’Université de Moncton, Canada (2008).
La rédaction
Bah N’DAW, Président de la Transition, Chef de l’Etat
« Amadou Toumani Touré a contribué à façonner le visage du Mali moderne »
« Mes chers compatriotes,
Comme vous le savez, le Président Amadou Toumani Touré s’est éteint tôt ce mardi 10 novembre 2020, six jours après son soixante-douzième anniversaire. Cette perte cruelle afflige la nation malienne à laquelle l’homme a donné tout son amour et toutes ses forces.
Acteur majeur de la démocratie malienne, ATT, aura au cours de son destin exceptionnel, contribué à façonner le visage du Mali moderne, enchaînant, partout dans le pays, des projets de routes et de ponts, d’écoles et de centres de santé, d’accès aux logements sociaux, à l’eau potable et à l’électricité.
De Kidal à Kayes, en passant par Koulikoro, le District de Bamako, Mopti, Ségou, Sikasso, Gao et Tombouctou, son empreinte restera forte, sa voix résonnera toujours, et son patriotisme sera salué à sa juste mesure.
Au nom du peuple malien, en mon nom propre et en celui des anciens Chefs d’Etat Alpha Oumar Konaré, Dioncounda Traoré et Ibrahim Boubacar Kéita, j’adresse mes condoléances les plus sincères à la veuve du défunt, Mme Touré Lobbo Traoré, à ses enfants, à ses proches ainsi qu’à ses nombreux amis et sympathisants.
Notre chagrin aujourd’hui est grand et il est d’autant plus grand que nous pleurons ATT, un peu moins de deux mois après le décès de l’ancien Président, le Général Moussa Traoré. Ce moment est pénible mais telle est la volonté du Tout-Puissant.
A Allah nous sommes, à Lui nous retournons ! »
Source: LE FORUM
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