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Entretien exclusif de Mahamoudou Savadogo :«  Les pays du G5 Sahel ont chacun un agenda propre» - Malikibaru.com
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Entretien exclusif de Mahamoudou Savadogo :«  Les pays du G5 Sahel ont chacun un agenda propre»

Inates au Niger, Arbinda au Burkina Faso, les attaques revendiquées par les groupes terroristes sont de plus en plus coûteuses en vies humaines. Face à cette montée de la violence extrémiste, les Etats sahéliens sont toujours à la recherche d’une stratégie efficace, et ce en dépit du renforcement des armées nationales, la présence de forces étrangères comme la mission française Barkhane et ses 4.500 hommes ; ou encore de la mission onusienne sans oublier l’aide logistique qu’apporte les troupes américaines depuis leur base d’Agadez au Niger. Mais alors pourquoi n’arrive-t-on pas à en finir avec cette folie meurtrière ?

Dans cet entretien exclusif accordé à Ouestafnews, Mahamoudou Savadogo, chercheur sur les questions sécuritaires et de la radicalisation au Sahel revient en longueur sur la difficile situation que vivent le Mali, le Niger et le Burkina Faso face à la déferlante terroriste.

Ouestafnews : les attaques terroristes se multiplient et sont de plus en plus meurtrières, les pays du Sahel ne sont-ils pas tout bonnement impuissants face aux groupes terroristes ?

Mahamoudou Savadogo : On voit clairement que ces attaques prouvent que les groupes terroristes montent en puissance et surtout en technicité. Ils ont adapté leur manière de combattre et ils savent anticiper sur les stratégies de combats mis en place par les Etats parce qu’on a l’impression que les trois Etats (Burkina Faso, Mali, Niger) sont sur la défensive. Ils se cantonnent dans leurs camps et ce sont les terroristes qui viennent les attaquer et eux ne font que se défendre.

Cette stratégie défensive a montré toutes ses limites et je pense qu’il est temps que les trois pays mettent en place des stratégies communes pour défendre cette zone qu’ils ont en commun qu’on appelle la zone des trois frontières. C’est aussi un couloir de trafic qui part du Sahara, en passant par le Niger, l’est du Burkina Faso jusqu’au pays côtiers.

Il est vraiment temps que les trois pays mettent en place une stratégie commune dans cette lutte contre les groupes terroristes.

Ouestafnews : En parlant de stratégie commune, qu’est-ce que vous pensez du G5 Sahel et de ses difficultés opérationnelles ?

M.S : les difficultés du G5 Sahel résident dans le fait que les pays membres ont chacun un agenda propre. Ce qui fait que les forces ne concourent pas tous à résoudre un problème régional mais plutôt à résoudre un problème interne.

Ce qui fait que le G5 Sahel, sur le papier est une force régionale mais concrètement, on a l’impression que c’est chaque pays qui se démène comme il peut pour lutter contre les groupes terroristes. Pour moi, le G5 Sahel n’a pas encore atteint son stade de maturité. Et il reste encore à reconstruire et il faut revoir le statut même de cette organisation.

Ouestafnews : Au sein du G5 Sahel, la Mauritanie et le Tchad sont les moins touchés, est-ce à dire que ces pays sont plus solides que le Burkina, le Mali et le Niger ?

M.S : Oui ! On a remarqué que la Mauritanie et le Tchad, qui font partie du fuseau est et ouest du G5 Sahel, sont les pays les moins touchés et sont les pays assez résilients. Ils sont assez résilients parce qu’ils ont su restructurer leurs armées. On a en place une armée qui est en mesure de répondre à la menace terroriste.

Par contre pour ce qui concerne le Mali, Niger et le Burkina Faso, on voit que les armées sont toujours en construction. En tout cas, ce ne sont pas des armées homogènes et organisées. Ce qui fait qu’elles n’arrivent pas à faire réellement face à la menace terroriste. Et aussi on a vu que la Mauritanie et le Tchad ont clairement une stratégie par rapport à ces groupes terroristes, ce qui n’est pas le cas pour le Burkina, le Mali et le Niger.

Ouestafnews : Certains parlent de la nécessité d’élargir le G5 Sahel à des pays côtiers comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Qu’est-ce que vous pensez de cette option ?          

M.S : Je pense que cette option aurait dû être approuvée depuis la création du G5 Sahel. Il est clair que cette menace n’allait pas s’arrêter au niveau du Sahel. Et dès la création du G5 Sahel, on avait encouragé les gouvernants à ouvrir cela aux pays côtiers. Cela à un double avantage. Le premier avantage c’est que les pays côtiers attirent beaucoup d’investisseurs contrairement aux pays enclavés du Sahel, donc cela veut dire que la question du financement du G5 Sahel allait être réglée. Ensuite les pays côtiers notamment le Ghana, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont des pays assez forts politiquement et qui ont des armées assez stables. L’implication des ces pays peut permettre de redynamiser le G5 Sahel et aussi de ratisser large, parce qu’on voit clairement que dans la stratégie de ces groupes terroristes, ils débordent les cadres du G5 Sahel et essayent d’atteindre les côtes. Et donc contenir la menace nécessite d’aller au-delà du Sahel.

Ouestafnews : Certains analystes disent que si le Burkina Faso subit aujourd’hui des attaques, c’est dû au départ de Blaise Compaoré qui avait négocié un «pacte de non agression», cette allégation est-elle plausible ?

M.S : On ne peut pas dire qu’elle n’est pas plausible, d’autant plus que du temps de Blaise Compaoré, le Burkina servait déjà de base arrière aux groupes terroristes. C’est indéniable. Maintenant la dynamique a tellement évolué, qu’il y a bien d’autres facteurs qui poussent les terroristes à s’attaquer au Burkina Faso, qui occupe une position stratégique par rapport aux couloirs de trafic de drogues et d’armes dans le Sahel.

Ouestafnews : Il est reproché au président Burkinabé Roch Marc-Christian Kaboré un «manque de poigne», mais au fond son pays ne subit-il pas tout simplement les conséquences de son impréparation face à la violence terroriste ?

M.S : Au départ on a beaucoup minimisé la menace, c’est une première erreur ; la seconde, c’est qu’on était dans le déni ; la troisième, on avait mis en avant la théorie du complot, c’est à dire qu’on imputait tout ce qui arrivait au Burkina à une stratégie de déstabilisation qui indexait l’ancien régime. Aujourd’hui cette menace s’est métastasée et est devenue vraiment ancrée, elle est même devenue communautaire. Aujourd’hui le Burkina est en train de payer des erreurs stratégiques. C’est vrai, le Burkina Faso n’était pas préparé mais après quatre ans, on devrait avoir au moins aujourd’hui une stratégie qui puisse stabiliser le pays, le temps qu’on puisse mener des offensives.

Ouestafnews : Parallèlement à la violence terroriste, il y a l’émergence de violences communautaires comme on l’a vu dans le centre du Mali et aussi au Burkina, est-ce que l’une implique l’autre ?

M.S : Les groupes terroristes sont des opportunistes. Ils exploitent toutes les failles et toutes les faiblesses des communautés. Cette menace terroriste, elle n’est plus comme avant où on venait avec des kamikazes. Depuis 2018, on n’a plus d’attentats kamikazes. C’est que les terroristes ont entrepris désormais de s’intégrer au sein de la communauté et si vous voulez de communautariser le terrorisme.

Et pour communautariser le terrorisme, il faut s’intégrer au sein de la communauté, s’y dissoudre et exploiter les failles. Et une fois que la cohésion sociale est mise en mal, ils arrivent aisément à recruter des partisans parce qu’en opposant les communautés, cela fait des mécontents des frustrés, des victimes. Comme la réponse étatique n’est pas adaptée, des fois elle est mauvaise (et) cela leur permet de recruter au maximum au sein des populations en manque de justice et frustrées. Les tensions communautaires constituent en vérité un terreau fertile pour les groupes terroristes qui les exploitent au maximum.

Ouestafnews : Quel est votre avis sur la présence jugée inefficace des forces étrangères dans le sahel ?

M.S : Les forces étrangères qu’on le veuille ou non sont un mal nécessaire parce que pour ce qui concerne clairement le cas de la France, c’est la seule armée pour le moment qui arrive un peu à évoluer dans le Sahel, les autres armées, elles ne viennent qu’en appui.

Et donc qu’on les critique ou qu’on ne les critique pas, à mon avis les forces étrangères ont leur place et elles doivent être impliquées dans la résolution du conflit dans le Sahel ; d’autant plus que nos armées ne sont pas encore bien structurées pour faire face. Et si on rejette ces forces étrangères, c’est ouvrir un boulevard pour les groupes terroristes qui vont envahir carrément tout le Sahel.

Ouestafnews : Vous êtes pour le maintien de Barkhane?

M.S : Je suis pour le maintien de cette force étrangère (Barkhane) sous réserve qu’on arrive à s’asseoir autour d’une table et expliquer clairement les objectifs et les stratégies mises en place. Au Sahel, nous avons 19 stratégies contre les groupes terroristes. Et cela ne peut pas aller ainsi, il faut qu’on essaye d’harmoniser. Je suis pour que ces forces restent mais que ces forces se soumettent aux règlements et aussi aux politiques des Etats.

Ouestafnews : On peut dire que le sentiment anti-français dont parle le président français Emmanuel Macron est un peu disproportionné ?

M.S : Non ! Je ne parlerai pas de sentiment anti-français mais plutôt de sentiment antipolitique française. Les populations du Sahel sont exaspérées parce qu’elles sont attaqués de toutes parts les groupes terroristes et elles n’arrivent pas à comprendre comment qu’il n’y ait pas de réaction de la France ni des Etats. Je pense que c’est une pression mise sur les populations qui fait que ces populations répercutent leur frustration sur une des puissances présentes au Sahel.

Le sentiment antipolitique français est là et à mon avis, il faut que la France change aussi sa manière de faire la politique en étant plus ouverte, en étant plus claire envers les populations et les Etats.

Ouestafnews : Des observateurs accusent pourtant la France d’avoir un agenda caché dans le Sahel ?

M.S : Je me méfie de la théorie du complot. C’est vrai que la position du Sahel est une position stratégique pour n’importe quelle armée mais il n’y a pas de preuves qui accablent clairement les Français par rapport à de telles accusations. Je pense que les Africains doivent s’assumer et remettre en cause leur politique de défense et de sécurité avant de commencer à accuser une quelconque puissance.

S’il y a la bonne gouvernance, plus de justice, plus de démocratie en Afrique, on va arriver à lutter contre ces groupes terroristes. Tant qu’on n’assume pas notre part de responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire, on ne va pas trouver des solutions pérennes. C’est facile d’accuser les puissances étrangères mais quelle est nous notre part de responsabilité en tant que Sahéliens dans cette dégradation de la situation sécuritaire, quelles sont les causes et les facteurs endogènes même de cette dégradation ?

Ouestafnews : Le président Macron a invité les chefs d’Etats du G5 Sahel à une rencontre en France afin que ces derniers puissent clarifier leur position vis-à-vis de la présence de Barkhane, quel langage ces chefs d’Etats doivent- ils tenir à leur homologue français ?

 M.S : Je pense qu’il faudra un discours d’union. Ils ne doivent pas y aller en rangs dispersés, ces cinq chefs d’Etats doivent savoir qu’ils représentent tous les peuples du Sahel. Par conséquent ils doivent agir dans l’intérêt supérieur de leurs peuples, non servir des intérêts personnels.

Ouestafnews –Au-delà de Barkhane, il ya les Américains au Niger, et l’Allemagne aussi ne cache pas son intérêt, il semble que le Sahel c’est actuellement l’endroit où il faut être.     

M.S –Le Sahel a une position de choix sur le plan géostratégique, cette zone est si vous voulez le futur du monde, il y a tous les minerais du futur qui s’y trouvent, du Tchad à la Mauritanie en passant par le Mali et le Niger vous avez l’uranium, l’or, le pétrole…

Et aussi nous avons aussi une question de leadership qui se pose toutes les puissances cherchent à être présentes. Pour le moment on agit de façon souterraine mais il est clair que le Sahel est un grand centre d’intérêts.

Ouestafnews –Durant le Dialogue National Inclusif qui vient de s’achever au Mali, des délégués ont plaidé pour l’ouverture d’un dialogue avec certains groupes «terroristes», alors négocier ou dialoguer est-ce que c’est une option viable ?

M.S – C’est une option qu’il ne faut pas écarter. En même temps il faut aussi l’étudier avec beaucoup de précaution. Il ne faut pas négocier avec les plus radicalisés. Il y a une stratification, une hiérarchie qui caractérise les groupes terroristes, il y a les intermédiaires, il y a ceux qui sont en contact avec la population et il y a aussi ceux qui sont en haut c’est-à-dire les idéologues.

A mon avis on peut déjà  commencer avec ceux qui sont en contact avec les populations, savoir ce qu’ils veulent et savoir les points sur lesquels on va négocier. Cela va permettre de couper les liens entre ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas. C’est une piste qu’il ne faut pas écarter.

MN-ON/ts
source https://ouestaf.com

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